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L’Apocalypse
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Je ne sais pas vous, mais moi j’éprouve souvent comme un subtil frisson de plaisir devant le spectacle de la destruction. Formulé ainsi, ça peut paraître un peu brutal. Pourtant, à en croire la pléthore d’œuvres littéraires et cinématographiques mises à la disposition de ce plaisir coupable, il faut bien croire que mon âme pyromane est loin de faire exception. En réalité, c’est là une thèse bien répandue : en chacun de nous sommeillerait le fantasme du saccage et du chaos final, sorte de « pulsion de mort » mais reconduite et démultipliée à l’échelle de l’espèce humaine, de la planète, de l’univers. Sans doute une des raisons pour lesquelles les auteurs de science-fiction se sont alimentés aussi goulûment du genre apocalyptique, rivalisant d’originalité et d’effets spéciaux pour mettre en scène ce qui nous attendrait le fameux jour J : flammes destructrices, pluies torrentielles, invasion d’insectes, congélation de l’air, pandémie mortelle, infertilité généralisée, chute d’astéroide… À priori, rien de bien enviable. Mais alors pourquoi un tel attrait pour les récits apocalyptiques ? Laissons parler les mots.
Bien loin de son usage contemporain qui l’assimile communément à l’idée péjorative de « catastrophe », le mot « apocalypse » puise son origine étymologique dans le sens d’une « révélation » ou d’une « bonne nouvelle », comme nous l’enseignent les récits fondateurs du mythe. Du mythe de l’Atlantide, rapporté par Platon à ses convives, à l’Apocalypse selon Saint-Jean dans le Nouveau Testament, la fin du monde va toujours de pair avec l’idée d’une purification rédemptrice. Dans un monde fondamentalement mauvais, la fin du monde viendrait ainsi le sauver de lui-même, en lui permettant de se régénérer à partir d’une tabula rasa justicière. La fin du monde ne serait jamais que la fin d’un monde, parvenu à ses limites.
Ainsi, le genre « apo » endosse une dimension critique proprement politique qui consiste à pousser à son extrême limite les conséquences d’un système vraisemblablement essoufflé par le poids de ses propres laideurs et turpitudes : faut-il vraiment sauver un monde régi par les inégalités, le capitalisme prédateur, le pillage des ressources naturelles de la planète et les guerres impérialistes ? Envisagée comme une « opportunité révolutionnaire », le mythe de la fin du monde pourrait ainsi permettre de poser un regard original sur le réel, et d’expérimenter métaphoriquement – entre le pragmatisme de la survie, l’urgence écologique et les idéaux politiques – l’aporie d’un questionnement particulièrement contemporain : que faire lorsqu’il est déjà trop tard ?
Un très vaste programme de réflexions auquel s’adonne notre invité Alain Musset, géographe et spécialiste de science-fiction dans son ouvrage Le Syndrome de Babylone. Géofictions de l’Apocalypse (Armand Colin, 2012). À partir d’une histoire du motif de la « ville maudite » à travers les grandes oeuvres de science-fiction, Alain Musset esquisse les contours d’un syndrome apocalyptique spécifiquement moderne : celui des villes-monde, symboles blasphématoires de l’orgueil des hommes autant que cristallisation spatiale des inégalités, vouées tout autant qu’elles sont à un salutaire anéantissement.
Voilà le topo : de Métropolis aux Fils de l’homme, en passant par Le Jour d’Après, Mad Max et Le Monde, La Chair et Le Diable, Rafik Djoumi, Alain Musset et moi-même avons exploré les différentes déclinaisons de cette archéologie des futurs apocalyptiques qui vraisemblablement n’en finissent jamais de finir…
Louisa Yousfi
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